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François-Emile DECORCHEMONT- 1880-1971

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"Il était rarement satisfait de ce qu'il venait d'achever en songeant qu'il aurait pu faire autre chose de meilleur. Pourtant lorsqu'il revoyait, après plusieurs années, une verrerie ou un vitrail qui lui plaisaient, il éprouvait une joie profonde sans manifestation extérieure, mais qui transformait l'expression de ses yeux." [1]

 

François-Émile Décorchemont naît à Conches (Eure) en 1880, où il grandit avant de venir étudier à l’École des Arts Décoratifs de Paris. S’il peint également et exposera d’abord ses peintures dès 1898, le jeune homme s’oriente au sortir de ses études vers la céramique. Déçu par ses premières expériences avec le médium il se tourne vers la pâte de verre en 1902. Décorchemont est autodidacte et le revendiquera : 

"je n’ai jamais appris le métier de verrier : je n’ai jamais été élève, ni employé, ni artisan dans aucune verrerie (…) Les essais furent souvent décevants, mais j’appris ainsi, en recommençant maintes fois, toutes les possibilités du verre, de sa coloration dans la masse."[2]

L’artiste expose ses premières œuvres en pâte de verre au Salon des Artistes Français de 1903, et encore l’année suivante où son style s’est déjà affiné ainsi que sa palette de couleurs. Le Musée de Limoges lui achète quatre pièces et, en 1905, c’est le Musée des Arts Décoratifs qui lui achète une coupe.

Décorchemont développe la même année une pâte de verre entièrement translucide qui lui permet une large gamme de couleurs au service de motifs naturalistes. Pour cette production, il installe à Conches un four à tirage vertical comme en usent certains céramistes ce qui lui vaut d’être parfois surnommé le "Potier de verre"[3]. Il s’installe alors définitivement dans sa ville d’origine et débute une production régulière, qu’il recense et numérote de manière systématique à partir de 1907. Le choix du verrier sera toujours une édition en petite série. Il débute la même année une relation commerciale avec la maison Rouard, qui deviendra son principal diffuseur sur Paris.

En 1908, Décorchemont oriente ses recherches vers la fonte à cire perdue, qu’il adapte à sa pâte de cristal. D’essais en essais il en tire en 1912 ses premiers "vases épais nouvelle matière", qu’il présente au Salon des Artistes Décorateurs. La critique est unanime et loue notamment leur "lueur diffuse, cette douceur éclairante répandue en elles, si bien qu’elles semblent composées avec des clartés mourantes qui ne meurent jamais"[4].

Le Musée des Arts Décoratifs lui achète une pièce de cette nouvelle manière, le Musée d’Orsay également. François-Émile Décorchemont se consacrera désormais à cette matière et abandonne la pâte fine. Il vend la quasi-totalité des modèles qu’il expose en 1913 aux Salons, dans les galeries du paquebot France et chez Louis Majorelle rue de Provence, qui créé des meubles spécialement pour accueillir ses verreries.

La Guerre de 1914 met un frein à la production et aux expérimentations du verrier, qui les maintient cependant durant ses rares permissions et parvient à exposer quelquefois jusqu’à l’Armistice de 1918.

Dans l’effervescence de l’après-guerre, François-Émile Décorchemont se marie en 1919 et reprend avec bonheur une intense activité artistique, moulant des dizaines de pièces dont il répertorie avec précision le résultat. Il continue à exposer et vendre régulièrement (son chiffre chez Rouard dépasse même en 1921 celui de Lalique), tandis que son vocabulaire décoratif évolue vers plus de stylisation et que ses motifs migrent progressivement du corps de ses pièces aux anses. 

L’artiste triomphe à l’Exposition internationale de Paris de 1925 où il expose chez Rouard, à l’Hôtel du Collectionneur de Ruhlmann et à l’Ambassade Française présenté par la Société des artistes décorateurs. Il reçoit un grand prix et est invité par la suite à participer à d’importantes expositions et manifestation comme celle du Musée Galliera sur "Les rénovateurs de l’art appliqué de 1890 à 1910".

Les œuvres du verrier se font à partir de 1927 plus géométriques, adoptant pans coupés et lignes brisés tandis que l’ornementation tend à disparaitre. La crise économique de 1929 ralentit considérablement les productions, ventes et recherches de Décorchemont. On ne sait trop si cette période fût pour lui l’occasion d’un bouleversement spirituel, toujours est-il qu’il oriente ses recherches et sa production vers le vitrail à partir de 1932. Il réalise en 1934 ceux de l’Eglise Sainte-Odile de Paris, dont un fragment est présenté l’année suivante au Salon d’automne.

Durant la 2nde GM et après-elle, François-Émile Décorchemont s’efface de la scène artistique pour se consacrer au programme iconographique des églises de sa région natale tout en maintenant une production restreinte de pièces de forme. Il réalise plus d’une centaine de vitraux entre 1952 et 1967 avant de s’éteindre en 1971, à l’âge de 91 ans.

L’artiste aura créé toute sa vie, suivant un chemin éminemment personnel que résume à merveille René Chavance[5] :

"C’est en interrogeant sans se lasser la matière, en observant au cours d’expériences répétées ses réactions au feu, en dominant ce feu lui-même qu’il est parvenu à se rendre maître d’un art dont il lui fallait forger les moyens d’expression à mesure qu’il cherchait à s’exprimer."

 


[1] Extrait d’un texte de la seconde épouse de l’artiste (Marie-Antoinette Décorchemont) in Une famille d'artistes François Décorchemont, éditions Nouvelles de l'Eure, Evreux, 1971.

[2] propos rapporté par Véronique Ayroles : François Décorchemont, Maître de la pâte de verre, Norma Editions, page 312.

[3] suivant la formule de J-L Olivié, Conservateur en Chef du Musée des Arts Décoratifs de Paris dans sa préface pour l’ouvrage de Véronique Ayroles (op. cit).

[4] Henri Lavedan, mars 1912

[5] dans le second article monographique qu’il consacre à l’artiste dans Art et Décoration en 1926

 

 

Oeuvres de François-Emile DECORCHEMONT

La maison de ventes aux enchères MILLON vend régulièrement des œuvres de François-Emile Décorchemont. Florian Douceron, clerc spécialiste du département département Arts Décoratifs du XXe siècle, vous décrypte une œuvre phare de l'artiste : 

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François-Emile DECORCHEMONT : "Plumes de paon" - 1912, exceptionnel vase en pâte de verre adjugé 24.000 euros lors de la vente aux enchères "Masters" organisée par le département Arts Décoratifs du XXe siècle

 

"La matière apparaît toute nue dans l'éclat de ses colorations qui transposent au passage les rayons lumineux, qui s’enrichissent de nuées, de bulles, de marbrures (…) une pierre inconnue, irréelle, celle qu’il a fait naître, et dont les mérites suffisent à nous émouvoir."[1]

 

Durant la seconde moitié du XIXe siècle, le plumage irisé du paon inspire les artistes autant que la symbolique attachée à l’oiseau : résurrection[2], immortalité et renouveau.  La plume de l’oiseau est notamment emblématique du mouvement britannique des Arts & Crafts avec la controversée "Peacock Room" que conçoit James McNeill Whistle en 1876-1877 ou le dessin "The Peacock Skirt" qu’Audrey Beardsley imagine en 1893 pour illustrer Salomé d’Oscar Wilde. Outre-Atlantique, Louis Comfort Tiffany s’empare également du plumage irisé, qui devient un de ses motifs favoris.

Infatigable inventeur toujours à la recherche de nouvelles possibilités pour sa pâte de verre, François Décorchemont magnifiera lui aussi le plumage du paon sur une de ses créations : le vase "Plumes de paon", qu’il réalise en six exemplaires seulement en 1912.  Dans une palette à la fois restreinte et riche de nuances aux couleurs profondes, le maître verrier a modelé une frise de plumes aux ocelles délicatement nervurées. Leur agencement épouse la forme du vase autant qu’il évoque la manière dont elles s’organisent à l’état de nature sur la traîne du paon. 

Pour aboutir à cette pièce sublime, le maître verrier a d’abord dû maitriser un à un tous les tenants et aboutissants de sa matière. C’est ainsi qu’il passa sa carrière à noter, expérimenter, modifier la composition de sa pâte de verre, améliorer ses moules, dominer les caprices de la cuisson et de la chimie secrète des oxydes métalliques.  Et tout cela, François Décorchemont l’aura fait sans idée préconçue, sans parti pris ni souci de plaire ou d’imiter qui que ce soit.

Tel un Cyrano du verre il est seul devant son four, son inspiration et son art dont l’aboutissement nous rappelle : "C'est bien plus beau lorsque c'est inutile !"[3] 

 


[1] René Chavance dans son article "François Décorchemont et la pâte de verre" in Mobilier et décoration : revue française des arts décoratifs appliqués, 1930, page 120.

[2] On retrouve le paon associé à des symboles eucharistiques dès le 10e siècle.

[3] Cyrano de Bergerac dans l’œuvre éponyme d’Edmond Rostand, 1897, acte V, scène 6.

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