"Une décoration dont on peut dire que la simplicité le dispute à la somptuosité et au confort.
Rien n'y est factice ; toute apparence de luxe est évitée ; tout faste vain et ostentatoire est banni ; il semble que dans cette extraordinaire opulence on ne puisse rien trouver de superflu ; les matériaux sont simples et nobles et leur ajustage est poussé au point maximum de perfection."[1]
Paul Dupré-Lafon naît à Marseille en juin 1900 au sein d’une famille d’industriels et de négociants. Après des études secondaires chez les Jésuites, il entre à l’École des Beaux-Arts de sa ville natale. Il y fait la connaissance de Georges Willameur avec qui il peint et expose dans différentes galeries phocéennes. Diplômé en 1923, Dupré-Lafon monte alors à Paris où il s’installe comme architecte et décorateur. Là, il retrouve Willameur par l’intermédiaire duquel il rencontre ses premiers clients parmi la bourgeoisie parisienne. Le style Art Déco qui triomphe alors est un environnement favorable à son langage formel autonome et créatif et il réalise à partir de 1925 ses premiers meubles.
Puis, en 1929, Dupré-Lafon reçoit sa première commande d’importance : la décoration d’un hôtel particulier de la Rue Rembrandt. À cette occasion, le décorateur débute une fructueuse collaboration avec la maison Hermès, à qui il fait appel pour ses cuirs et qui deviendra au fil des chantiers un réel partenaire. Editeur exclusif d’une partie des objets dessinés par Dupré-Lafon, Hermès gainera notamment de son iconique cuir cousu au point sellier des lampes, ainsi que les célèbres "valets de nuit" qui seront édités jusque dans les années 1960. Témoin de cet aménagement qui porte déjà en lui tous les canons de la manière du décorateur, Michel Dufet le commentera ainsi[2] :
"On chercherait en vain dans son œuvre afféteries ou surcharges. D'emblée Dupré-Lafon a compris l'essence profonde du luxe. Aucun décor sinon l'utile. Chacun de ses ouvrages demeure empreint d'une sérénité lucide qui force le respect."
Suivront d’autres aménagements particuliers pour la réalisation desquels Dupré-Lafon déploiera un univers visuel rythmé par les contrastes entre formes et volumes mais aussi entre matériaux industriels et nobles.
En avril 1935, son aménagement de la rue Rembrandt fait l’objet d’un article laudatif dans Art et Décoration et, en 1938, il réalise un second aménagement qui fera date : celui d’un hôtel particulier avenue Foch à Paris.
Mobilisé en 1940 auprès du service cartographique des Armées, Paul Dupré-Lafon ne reprendra son activité qu’après l’Armistice de 1945. L’après-guerre et son contexte économique contraignent le décorateur dans le choix de ses matières. Bois, verre et laque cèdent la place au métal, aux pierres et au cuir, sans jamais restreindre sa formidable créativité. Obligé à certaines concessions, Dupré-Lafon conservera cependant la clarté de ses lignes, rejetant avec fermeté les tendances organiques et coloristes des années 50. Il réalise durant cette décennie et la suivante de nombreux aménagements pour de riches particuliers, magasins ou entreprises.
À partir 1961 le décorateur réduit puis cesse son activité après un dernier chantier en 1971 : la décoration d’une villa à Deauville. Victime d’une crise cardiaque, Paul Dupré-Lafon s’éteint en décembre de la même année. Au grès d’une carrière contemporaine du Bauhaus puis du Post-Modernisme, Paul Dupré-Lafon aura imposé une vision résolument indépendante et moderne de la décoration, où triomphent les qualités expressives de la matière. Célébré aujourd’hui comme un modèle de l’esthétique Art Déco, le décorateur n’aura pourtant jamais exposé au public des créations réservées à de somptuaires commandes particulières. Celles de ses œuvres qui nous sont parvenues nous permettent toutefois de rejoindre Bernard Champigneulle[3] selon qui elles :
"semblent défier les caprices de la mode. Sans faste, sans éclat tapageur, leur incontestable somptuosité provient de la simple mais parfaite mise au point de tous les éléments qui les composent. Dupré-Lafon atteint à l’opulence par la voie de la simplicité".
[1] Bernard Champigneulle in Mobilier & Décoration, 15e année, janvier 1935, page 138.
[2] cité in Thierry Couvrat Desvergnes : Dupré Lafon, décorateur des millionnaires, les Editions de l'Amateur, 1990, page 6.
[3] in Art et Industrie, 1936, page 10.
Oeuvres de Paul DUPRÉ -LAFON
La maison de ventes aux enchères MILLON vend régulièrement des œuvres de Paul Dupré-Lafon. Florian Douceron, clerc spécialiste du département département Arts Décoratifs du XXe siècle, vous décrypte une œuvre phare de l'artiste :
"Cette impression de puissance, d'assurance, de sécurité et de noblesse (…) dont les formes sont si pures, si solidement établies, qu'elles paraissent devoir défier tous les caprices de la mode (…)
Il en résulte pour l’œil une plénitude franche et harmonieuse que pas une fausse note ne vient troubler."[1]
Paul Dupré-Lafon saura plus que quiconque faire cohabiter dans ses créations la modernité fonctionnaliste et la tradition du raffinement mobilier. Support de réflexion, et d’action, le bureau était un de ses thèmes de prédilection concentrant les contraintes en un défi sans cesse renouvelé à son imagination.
Ce style unique, on le retrouve dans ce bureau dont l’habile jeu de mécanismes est masqué sous des lignes cubistes et des matières luxueuses. Sous l’épure formelle de sa silhouette, il découvre une lampe lorsqu’on soulève sa tablette arrière. Le nécessaire espace d’écriture du meuble, quant à lui, se crée en ouvrant la tablette du dessus qui viendra reposer sur l’appui des caissons latéraux. Plaqués de sycomore contrastant précieusement par sa blondeur avec la teinte du palissandre de Rio, les éléments de rangement sont eux aussi à système. En effet, ils pivotent pour se cacher dans le corps du meuble replié dont l’apparence "fermée" a la discrétion et le faible encombrement d’une console.
En conciliant fonctionnalité et esthétique sans jamais sacrifier l’une à l’autre, ce bureau sculptural et minimaliste semble déjà répondre aux questions que se poseront les générations suivantes de designers :
"un objet ne doit pas être uniquement beau en soi, il doit avoir été pensé dans la fonction qui sera la sienne"[2]
Là est l’art de Dupré-Lafon avec ce bureau : faire oublier la virtuosité technique et la rigueur luxueuse qui concourent à sa réalisation. Demeurent alors la cohérence de ses lignes, leur rythme sobre et ferme, et la netteté d’un style original sans renier l’expression amoureuse d’un classicisme très français.