Pierre Molinier, né en 1900, était un artiste français principalement connu pour ses tableaux érotiques et ses photomontages mettant en scène les corps de femmes et son propre corps travesti. Son œuvre, sulfureux et énigmatique, a inspiré les artistes adeptes du body-art au début des années 1970 et continue de retenir l’attention des critiques et collectionneurs de nos jours. Fils d’un peintre en bâtiment et décorateur spécialisé dans le faux marbre et le faux bois, Pierre Molinier commence à expérimenter la peinture à ses côtés en tant qu’artisan. De 1919 à 1960, Molinier exerce ainsi le métier de peintre en bâtiment à Bordeaux. C’est en autodidacte qu’il commence à pratiquer le dessin et la peinture artistique. Il se consacre à son art à partir de 1960, naît alors une série de toiles emblématiques, parmi lesquelles Le Réveil de l’Ange (1960), Suzinella (1960) et La Flèche Amoureuse (1960-62). Artiste excentrique et provocant, Pierre Molinier voue un culte pour l’androgynie et ne manque pas de se prendre en photo habillé de bas en résille, de gaines noires transparentes et perché sur des escarpins. Molinier nourrit une réelle obsession pour les jambes et les fesses. Comme il le répétait : "Voilà : je préfère les fesses. J’aime bien le devant aussi. Mais je préfère les fesses" (in Pierre PETIT, Molinier, une vie d’enfer, Editions Ramsay/Jean-Jacques Pauvert, 1992, p. 168). Partie du corps qu’il valorise avec des jeux de dévêtement sur des poupées et sur des modèles vivants. En effet, Pierre Molinier utilisait une sculpture de plâtre grandeur nature composée d’une tête amovible et d’un tronc descendant à mi-cuisse et qu’il appelait « La Poupée ». Il possédait aussi une paire de jambes de femme aux mêmes dimensions que « La Poupée », ainsi que deux mannequins complets en format réduit. Enfin Molinier avait également des "cuisses prenantes" qu’il avait lui-même confectionné à partir d’un jersey noir et qui lui servait à reproduire des scènes de jeux amoureux " (in Pierre PETIT, Molinier, une vie d’enfer, Editions Ramsay/Jean-Jacques Pauvert, 1992, p. 168). A côté de ces objets, Pierre Molinier faisait appel à des modèles, parmi lesquels nous pouvons citer quelques noms emblématiques tels que Suzinella, Petit Vampire etc. L’appréhension des œuvres de Pierre Molinier nécessite d’abord de se défaire de toute convention esthétique et plastique traditionnelle. En effet, il faut pouvoir soulever plusieurs couches de normes et de valeurs sociales afin de pouvoir contempler ses œuvres. Mélange d’érotisme cru et d’un attrait pour l’altération et la mort, le travail de Molinier ne peut être rapproché de tout autre art qui sollicite habituellement notre regard. Seuls quelques rares artistes comme Hans Bellmer ou encore Salvador Dalí se sont aventurés sur un chemin semblable. Dans les créations de Molinier, la femme devient une superbe bête de proie : l’artiste la fait surgir, la dévoile, la fait jouer avec son corps, elle devient l’objet des sens de l’artiste et du spectateur. C’est aussi ici toute la force du médium plastique selon l’artiste, plus percutant encore que l’écriture. Le voile de soie sombre qui semble tamiser les toiles de Molinier suggère ce monde onirique que s’est construit l’artiste et souligne la tentation charnelle au cœur de son travail. « Le "strip-tease" : dévêtement progressif dont la savante lenteur excite sournoisement les sens. Le cinéma joue son rôle propre, mais pour les seuls simples de l’amour, pour sa foule, car en dépit de tous les trucages et décors suggestifs, il n’a pas le piment du strip-tease vivant. Le dilettante de l’amour n’y trouve pas son compte assouvissant. L’image n’est que fiction. Toute autre est cette communion précieuse de la réalité et du rêve, dualité créatrice de cette fusion de force inégalée. A la vision du "strip-tease" l’acte amoureux est latent, suscité – ou en puissance – par ces moyens magiques : transparence des voiles, éclairs de nudités, attraction toujours mystérieuse de la chair et de ses parfums, gaines caressantes harmonisant les formes… Ces prémices [sic] invocatoires prennent toute leur charge, grâce à leur apport spéculatif à l’opératif, le tout créant la divinité, véritable holocauste, viol taboutique. L’écriture érotique, tel le Roman d’O, en ce qu’elle provoque la masturbation métaphysique et le rut, est un aspect de "strip-tease", mais un faible en-deçà. L’image érotique concrète quintuple l’exaltation du fait de la communion dans la même jouissance de toute une somme d’êtres, bien que chacun la par de son rêve personnel et l’interprète selon l’appétit de ses sens. Pour mon "moi" bien intime, mes tentations, avivées par la magie qui adhère à mes sens ne tendent que vers la réalité, seule susceptible de me conduire au sommet. Ma vie ainsi assouvie n’aspire qu’à atteindre la plate-forme-sagesse de l’immortalité. Prétendre que le "strip-tease", se rapportant à la morale des familles, pourrait être un spectacle uniquement attractif, serait une impertinence dissimulant mal des fins mercantiles au seul usage des crétins, ceux-ci à jeter à la poubelle avec le commerçant qui se refuse à être confondu avec le voleur, l’agent des mœurs avec le maquereau, les membres de la IVe avec l’aventure usurière… Le "strip-tease", pour ceux qui se veulent en dehors des normes courantes – comme le voleur qui se définit voleur (mettant bas le masque d’hypocrisie) – n’est qu’un des plans du chef-d’œuvre d’amour. » Pierre MOLINIER Brouillon d’une lettre de Molinier, 2 février [1957]. Archives Françoise Molinier, cité in Pierre PETIT, Molinier, une vie d’enfer, Editions Ramsay/Jean-Jacques Pauvert, 1992.