"Sculpter c’est arrêter l’énergie pour la contempler, capter la vitalité pour la dompter et s’en nourrir"[1]
Née en Ukraine en 1888, Chana Orloff arrive à Paris en 1910 où elle travaillera d’abord comme couturière, avant d’obtenir la deuxième place au concours d’entrée à l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs Elle étudiera ensuite la sculpture à l’Académie Vassilieff, refuge des artistes étrangers à Montparnasse où elle se pénètrera de l’esprit bouillonnant de l’avant-garde artistique internationale.
En 1913, elle participe pour la première fois au Salon d’Automne avec deux sculptures[2]. Plus tard et alors qu’elle collabore en 1916 à la revue SIC (Sons – Idées – Couleurs) avec son mari le poète polonais Ary Justman, elle gravite dans les sphères Dada, Futuriste et Cubiste.
Après la perte de son mari des suites de la grippe espagnole et alors qu’elle est devenue une portraitiste reconnue de l'élite parisienne, l’artiste obtient la nationalité française en 1926. Elle devient la même année sociétaire du Salon d'Automne, expose à Paris et Amsterdam et fait construire sa maison-atelier par Auguste Perret, la Villa Seurat.
En 1928, l’artiste voyage aux Etats-Unis et est exposée à New-York dans la galerie d'avant-garde Weyhe Gallery. De retour en France elle continue son activité de portraitiste et aide à la création du Musée de Tel-Aviv, où elle exposera avec succès en 1935. En 1937, elle participe à l’exposition "Les Maîtres de l'Art Indépendant" au Petit Palais, avec une trentaine de sculptures.
En 1942, Chana Orlof échappe à la Rafle du Vel d'Hiv, prévenue par deux amis français[3]. Elle est contrainte d’abandonner son atelier et se réfugie à Genève. Là, l’artiste donne naissance à une période tout à fait différente de son œuvre, qui fait l’exégèse d’une humanité tourmentée et frappée par l’horreur. Une horreur qu’elle retrouve malheureusement à son retour à Paris en 1945 où elle retrouve son atelier pillé et ses œuvres détruites et profanées. Qu’importe : Chana Orloff fixera le souvenir de cette violence en exposant des fragments de ses sculptures mutilées.
Entre 1946 et 1949, l’artiste fait l’objet de grandes rétrospectives en Europe et aux Etats-Unis. A cette occasion le poète Yvan Goll dira que "les œuvres qu'elle nous présente [chez Wildenstein] attestent que sa poigne n'a rien perdu de sa vigueur et de sa force mâle, mais une profonde humanité enveloppe ses personnages de la tendresse amoureuse ..."[4]
Installée à Tel-Aviv en 1949, Chana Orloff continue à faire l’objet d’expositions et à réaliser des portraits. Elle participe également et jusqu’en 1965 à la création de plusieurs monuments liés à l'histoire de l'État d'Israël.
Chana Orloff s’éteint en 1968. Elle est enterrée au cimetière Kriat Shaul de Tel-Aviv. Présente dans de nombreuses collections publiques (du Centre Pompidou, de La Piscine à Roubaix, du musée des beaux-arts de Nantes ….), l’artiste autodidacte, indépendante et libre participe aujourd’hui des figures majeurs de l’Ecole de Paris.
[1] Michel Onfray in La sculpture de Soi, 1995,
[2] Tête d’adolescent Juif et Portrait de Madame Z
[3] son fondeur Alexis Rudier et l’écrivain Jean Paulhan.
[4] Yvan GOLL, Chana Orloff chez Wildenstein, 1947, page 137
Oeuvres de Chana ORLOFF
La maison de ventes aux enchères MILLON vend régulièrement des œuvres de Chana Orloff. Florian Douceron, clerc spécialiste du département département Arts Décoratifs du XXe siècle, vous décrypte une œuvre phare de l'artiste, adjugée 100 000 euros lors de la vente aux enchères "Masters" organisée par le département Arts Décoratifs du XXe siècle :
"Le corps n’est plus représenté, il est signifié dans ses lignes essentielles et dans ses volumes généraux, souligné par des détails humoristiques comme les deux seins en poire, les sillons de l’aine en V, le tracé du chignon, le gonflé de la paupière ou le profil de l’arête nasale".[1]
Créé en 1912, ce Torse participe des jalons dans le passage de Chana Orloff d’une sculpture à la facture classique et "scolaire"[2] à une expression plus personnelle, aux formes simplifiées et aux proportions allongées que renforce un traitement lisse des surfaces. La composition est résolument frontale, l’artiste ne détaillant que les faces avant et arrière au gré de motifs anatomiques stylisés et arbitrairement choisis.
Cette sculpture avant-gardiste de Chana Orloff pourrait ainsi évoquer les idoles cycladiques avec qui elle partage la stylisation extrême du corps et de la figure féminine, les surfaces soigneusement polies et les lignes épurées.
Entre modernité et sentiment primitif, la puissance expressive du Torse de Chana Orloff fait écho à Henry Moore en ce qu’elle provoque en nous "ce sentiment de dureté et de douceur, de surface rude et lisse, de dépression et d'expansion, de creux et de bosse (...) une réalité de forme"[3].