« …. Il était le troisième enfant d’une mère admirable qui vivait d’une entreprise de colifichets dans un entresol obscur de la rue du Marché Saint-Honoré. C’est là que nous allions voir notre ami et nous avions dédié à Madame Vuillard une affection quasi familiale. C’était une figure d’une pureté et d’une noblesse extraordinaires. Elle avait pour notre ami une tendresse merveilleuse. Elle croyait en sa mission et elle s’y était consacrée avec une confiance et une abnégation presque sans exemple. C’est à elle qu’Edouard Vuillard doit d’avoir été le parfait artiste qu’il est devenu et aussi l’homme d’intelligence loyale, de caractère net et franc qui avait su gagner notre sympathie. C’est d’elle que cet artiste si puissant tient l’invraisemblable modestie dont il a fait preuve, même en présence de réussites inespérées. »
Ce témoignage de Pierre Veber écrit en 1937 et intitulé Mon ami Vuillard, témoigne de l’importance que vouait Vuillard à sa mère et la place centrale qu’elle occupait dans sa vie. Maintes fois portraiturée par son fils, Madame Vuillard est ici représentée dans l’intimité de leur salle à manger. Edouard Vuillard multiplie les scènes de la vie quotidienne et excelle dans la captation de ces moments d’une grande simplicité. « Aucun artiste n’a su rendre à ce degré l’âme d’un intérieur » déclare le critique Julius Meier-Graefe en 1904. C’est avec une spontanéité touchante que Vuillard peint ces scènes d’intérieurs plus confidentielles. La liberté de la touche dans le traitement de la forme par des juxtapositions de couleurs est absolument inouï. Les objets et la figure se dissolvent dans l’œuvre, pour laisser transparaitre une beauté pure et sincère.
Mais « Peut-on définir la beauté ?
Le beau c’est ce qui plaît sans doute et il plaît parce qu’il répond à une attente, parce qu’il nous complète en comblant un vide que le plaisir ne fait que creuser. Le beau serait ainsi la forme apparente de la vérité qu’une certaine - quoique inconstante – disposition d’esprit nous permet d’accueillir.
L’attitude simple et comme éternelle de Madame Vuillard, …, ne nous offrirait elle pas un lieu de rencontre invitant celui qui regarde à s’interroger sur cette singulière présence qui s’est glissée, ce matin-là, dans cette modeste salle à manger du quartier des Batignolles. »